Quand l’innovation agricole se heurte à la bureaucratie
Plaidoyer pour une reconnaissance et une action décisive en faveur de la biométhanisation agricole

Aujourd’hui, je prends la plume avec la détermination de ceux qui n’ont plus le luxe du temps. Mon projet, GNR Shefford, incarne l’avenir de l’agriculture durable au Québec, mais il est aujourd’hui entravé par une bureaucratie qui semble ignorer l’urgence et les enjeux réels auxquels nous faisons face. Cette lettre n’est pas seulement un appel à l’action; c’est une exigence de cohérence et de responsabilité de la part de ceux qui ont le pouvoir de façonner notre avenir commun.
Trouver l’erreur : Quand l’administration se trompe de cible
Depuis plus de vingt ans, je consacre ma vie à une agriculture qui respecte la terre et les ressources naturelles, une agriculture authentique et durable. Mon projet de biométhanisation agricole, conçu pour transformer les résidus organiques en énergie renouvelable et en fertilisants, n’est pas un simple luxe technologique – c’est une réponse vitale aux enjeux environnementaux urgents auxquels nous sommes confrontés.
Le Règlement sur les exploitations agricoles (REA) est le cadre réglementaire le plus approprié pour mon projet de biométhanisation agricole. Ce règlement est spécifiquement conçu pour encadrer les activités agricoles, y compris celles qui traitent les sous-produits agricoles tels que le fumier, le lisier, et autres résidus agroalimentaires. Mon projet correspond parfaitement à la portée du REA, car il utilise des intrants agricoles pour produire de l’énergie et du digestat réutilisé en agriculture, intégrant ainsi pleinement le cycle agricole.
De plus, l’article 19 du REA précise que les activités agricoles, y compris la valorisation de déjections animales, doivent se faire soit par épandage, soit par traitement en vue de leur transformation en produits utiles. Mon projet respecte ces critères, avec des intrants principalement agricoles et une réutilisation complète des produits finis dans le cadre de l’exploitation agricole.
Le rôle du REAFIE dans l’évaluation environnementale
Il est important de noter que le Règlement sur l’évaluation et l’autorisation des projets en fonction de leurs impacts sur l’environnement (REAFIE) s’applique également à mon projet pour évaluer ses impacts environnementaux globaux. Le REAFIE est conçu pour s’assurer que les projets ayant des impacts significatifs sur l’environnement, même lorsqu’ils sont agricoles, sont correctement encadrés. Toutefois, le REAFIE reconnaît également que certaines portions d’activité dite agricole, comme les émissions atmosphériques provenant d’une installation de biométhanisation sur un lieu d’élevage, doivent être principalement encadrées par le REA.
Particulièrement, l’article 247 du REAFIE stipule que les installations de biométhanisation traitant moins de 25 % de matières exogènes sont exemptées de certaines exigences telles que l’étude de modélisation de la dispersion atmosphérique des odeurs ou la soumission d’un plan de gestion des odeurs. Mon projet, utilisant des intrants agricoles et ne dépassant pas ce seuil de 25 % de matières exogènes, devrait donc bénéficier de cette reconnaissance et être régulé principalement par le REA.
Pourquoi le RAA n’est pas adapté
Le Règlement l’assainissement de l’atmosphère (RAA), en revanche, est principalement destiné à réguler les activités industrielles qui pourraient émettre des contaminants dans l’atmosphère. Les installations, activités ou procédés faisant l’objet de normes établies en vertu du RAA sont généralement des activités qui, par leur nature, ne sont pas strictement liées à l’agriculture, mais qui peuvent rejeter des contaminants dans l’atmosphère en raison de la nature des opérations (ex. usines, installations de traitement des déchets non agricoles). Classifier mon projet sous le RAA implique de le considérer davantage comme une activité industrielle, ce qui n’est pas justifié étant donné que l’ensemble des intrants et des produits sont exclusivement d’origine agricole et réintégrés dans le cycle agricole.
Une urgence à corriger
Cette confusion dépasse de loin le simple malentendu bureaucratique. Comment peut-on justifier un tel mépris pour une initiative agricole innovante, en la reléguant au même statut que les grandes industries ? En traitant mon projet comme une activité industrielle, on nie sa véritable essence : celle d’une agriculture moderne, régénératrice, où chaque ressource est valorisée, où les cycles naturels sont respectés et bouclés. Si cette « erreur » n’est pas rectifiée, elle pourrait étouffer l’innovation agricole au Québec et priver les agriculteurs de l’opportunité de réinventer un avenir plus durable pour tous.
Le paradoxe de la protection agricole
Nous vivons dans un paradoxe où les lois censées protéger et encourager l’agriculture durable semblent, en réalité, être interprétées de manière à favoriser les intérêts des plus puissants. Cette situation est d’autant plus troublante lorsque l’on considère les missions et les valeurs déclarées de la Commission de protection du territoire agricole du Québec (CPTAQ) et du ministère de l’Environnement, de la Lutte contre les changements climatiques, de la Faune et des Parcs (MELCCFP). Ces organismes, qui devraient être les champions de la préservation de notre agriculture et de notre environnement, nous donnent de plus en plus l’impression de servir des intérêts contraires, en marginalisant les petits producteurs au profit des géants industriels.
Un projet porteur : la biométhanisation comme avenir de l’agriculture
La biométhanisation agricole n’est pas simplement une innovation; c’est une révolution. En transformant les rejets de la ferme en ressources, en bouclant les cycles des nutriments, et en réduisant notre empreinte carbone, ce projet offre une vision claire de ce que devrait être l’agriculture du futur.
Cependant, malgré ses avantages manifestes, ce projet reste embourbé dans les méandres administratifs. Cette situation est plus qu’un simple contretemps; elle reflète une faille systémique dans notre capacité à adapter nos réglementations aux besoins urgents de notre époque. Chaque jour de retard n’est pas seulement une perte pour mon exploitation, mais un coup porté à la durabilité et à l’innovation agricole au Québec.
L’heure de vérité : un test de courage politique et de vision d’avenir
Aujourd’hui, je lance un appel non seulement à la raison, mais aussi à la conscience de nos décideurs, aux membres du MELCCFP, et à tous ceux qui prétendent défendre une agriculture durable et innovante. La biométhanisation agricole n’est pas simplement compatible avec les lois existantes; elle incarne les valeurs mêmes que ces lois doivent protéger : durabilité, respect de la nature, et soutien indéfectible aux agriculteurs.
Il est impératif de prendre des décisions audacieuses pour que la biométhanisation agricole occupe enfin la place légitime qui lui revient dans notre cadre réglementaire. Ce n’est pas seulement une question de conformité légale, dont l’interprétation varie selon les analystes, c’est un enjeu de vision et de responsabilité envers les générations futures. En soutenant des initiatives comme la mienne, vous faites bien plus que simplement produire; vous choisissez de protéger, de régénérer, et de construire un avenir durable.
En conclusion, je vous appelle à faire preuve de leadership véritable, à dépasser les absurdités administratives, et à agir avec l’urgence que la situation impose. La biométhanisation agricole ne doit pas être sacrifiée sur l’autel d’une bureaucratie aveugle. Il est grand temps d’agir avec le courage et la clairvoyance nécessaires pour soutenir une agriculture durable capable de relever les défis de notre époque.
Paul Sauvé, Agriculteur et promoteur du projet GNR Shefford
Nicolas Mailloux, Agriculteur et administrateur de l’UPA Haute-Yamaska

Paul Sauvé
Agriculteur et promoteur du projet GNR Shefford